Wladimir Yordanoff, un acteur généreux

 

Qui a peur de Virginia Woolf ? C’est ce qu’Alain Françon nous révéle dans sa mise en scène de la célèbre pièce d’Edward Albee le mardi 16 mai au Théâtre Princesse Grace. Aux côtés de Dominique Valadier dans le rôle de l’épouse, Wladimir Yordanoff, Molière 2016. Portrait d’un comédien…monégasque.

 

 

 

Ce visage vous est immédiatement familier ? Mais oui, c’est le mari de Catherine Frot dans Un air de famille, le succès de Jaoui-Bacri de 1996 ! Comédien prolifique, Wladimir Yordanoff  épanouit son talent depuis plus de trente ans sous la direction des plus grands au théâtre et au cinéma, sans oublier le petit écran : Nina Companeez l’emploie en effet dès 1979 dans ses Dames de la côte. Quand on le rencontre au mois d’avril 2017, Wladimir Yordanoff n’est pas avare de son temps, heureux de revenir sur ce riche parcours et d’évoquer ses attaches monégasques.

 

Une enfance monégasque

 

Le petit Wladimir nait en 1954 à Chatou, dans un milieu de musiciens classiques: « Mon père, Luben, a fui la Bulgarie en 1946. Au Conservatoire de Paris, il a rencontré ma mère, cantatrice, qui avait quitté elle aussi la Bulgarie. » Luben Yordanoff est bientôt appelé à Monaco comme violon solo de l’Orchestre Philharmonique. La famille Yordanoff est alors naturalisée monégasque par le prince. Wladimir se souvient avec nostalgie de son enfance dans la principauté : « A l’école primaire de Saint-Charles, j’ai joué le Petit Poucet sur scène… Plus tard, on se promenait avec les copains dans le jardin d’une maison abandonnée — la Villa Sauber ! » L’adolescent effectue ses études secondaires au Lycée Albert 1er. Le célèbre chef d’orchestre Charles Munch sollicite bientôt le violoniste pour entrer comme violon solo dans l’Orchestre de Paris qu’il vient de créer. La famille revient alors en région parisienne : « J’avais quatorze ans, je me suis senti déraciné de Monaco ! Plus de copains, fini la plage et le beau temps ! Mon seul rayon de soleil, c’était la littérature. Et puis, le ciné-club dont je m’occupais au lycée à Saint-Germain-en-Laye. » L’adolescent découvre alors le cinéma d’auteur, Kurosawa, Bergman…

 

Wladimir enfant, acteur dans Le Petit Poucet (D.R.)

Devenir comédien

 

Bon élève, Wladimir est orienté vers des études de médecine. Il faut dire qu’il est très attiré par la psychiatrie et la psychanalyse : « Je rêvais d’une médecine au secours des gens… » Mais le rêve se heurte à l’ambiance de la fac de médecine, « à cette bourgeoisie pompidolienne » qui l’exaspère. Depuis quelques temps, le jeune homme prend des cours de théâtre. Il passe le concours du Conservatoire national : « J’ai passé le premier tour. Puis on m’a dit au deuxième qu’en tant que Monégasque, je pourrais me contenter d’être auditeur libre.» En fait, cela ne change pas grand chose : après 68 ce statut permet de recevoir les cours des meilleurs enseignants : « Louis Seigner me semblait pépère, très IVe République. J’ai préféré suivre l’enseignement d’Antoine Vitez et de Pierre Débauche. L’improvisation, la liberté. » Une actrice repère le jeune Wladimir et lui propose d’intégrer la troupe d’un Américain, Stuart Seide : « On jouait à la Cartoucherie de Vincennes. Shakespeare, Molière, Calderon… Mais au bout d’un moment, je me suis révolté contre le travail contraignant de la troupe. » C’est toujours ce désir de liberté qui guide le jeune comédien lorsqu’il rejette l’idée d’entrer à la Comédie française.

 

Le mari de Catherine Frot dans Un air de famille (D.R.)

Cinéma vs théâtre

 

Wladimir Yordanoff  entre par la grande porte dans le 7e art grâce à Andrzej Wajda qui lui donne en 1983 le rôle du chef des gardes dans son Danton. L’acteur enchaîne chez Margarethe von Trotta (L’Amie), puis chez Robert Altman où il incarne Paul Gauguin dans Vincent et Théo en 1990 : « Ça n’a pourtant pas impressionné les réalisateurs français. Non, le vrai démarrage de ma carrière au cinéma, je le dois à Un air de famille.» Le comédien avait déjà joué pour les plus grands metteurs en scène du théâtre public (Patrice Chéreau, Roger Planchon, Bernard Sobel…), lorsqu’il rejoint la pièce de Jaoui et Bacri en 1994. Quitter le théâtre subventionné pour le privé, ce n’est pas simple en France: « Je me suis fait traiter de traître ! » Lorsque Cédric Klapisch adapte deux ans après la pièce au cinéma, Yordanoff est ravi de reprendre son rôle aux côtés de Catherine Frot. Suivra Le Goût des autres réalisé par Agnès Jaoui, autre gros succès public, puis d’autres films populaires, souvent des comédies, parfois des drames, comme Polisse de Maïwenn en 2011. Pourquoi ne voit-on plus l’acteur au cinéma depuis trois ans ? « C’est parce que je suis accaparé par le théâtre. On me propose des rôles dans des pièces pour lesquelles je ne peux pas dire non, que ce soit Le Temps et la chambre de Botho Strauss, ou la création d’une pièce de Peter Handke… » 

 

Dans Qui a peur de Virginia Woolf ? (D.R.)

 

Qui a peur de Virginia Woolf ?

 

Wladimir Yordanoff aime renouveler les collaborations, comme avec le metteur en scène Alain Françon. « Je cherchais une pièce à jouer avec Dominique Valadier, la femme de Françon. C’est moi qui ai proposé Qui a peur de Virginia Woolf ? » La pièce d’Edward Albee a été particulièrement popularisée par l’adaptation au cinéma avec Richard Burton et Elisabeth Taylor, dans laquelle les deux monstres sacrés se déchirent dans une suite de crises paroxystiques mémorables. Pour Yordanoff, « le texte d’Albee évite de se poser des questions psychologiques idiotes : on ne se demande pas pourquoi ? mais pour quoi ? Alain Françon (Molière du metteur en scène 2016) a choisi d’abandonner tout geste naturaliste et de faire évoluer les personnages dans un espace rouge sang qui évoque un ring de boxe, mais pris comme un art noble, à l’instar de la danse. » La pièce d’E. Albee a été analysée par l’école de psychologie de Palo Alto comme un pur exemple du schéma du « double bind » (l’injonction paradoxale). Selon Wladimir Yordanoff, « les époux de cette pièce jouent un protocole qui régit leur relation. Il faut que les acteurs s’aiment pour jouer ce texte, car les personnages se disent des horreurs, se provoquent sexuellement. A sa création en France en 1964, Madeleine Robinson et Raymond Gérome avaient chacun leurs avocats dans la salle pour compter les coups ! » On se souvient comment les choses avaient mal tourné en 1996 entre Niels Arestrup et Myriam Boyer… Pas de risque en revanche entre Dominique Valadier et Wladimir Yordanoff. Ils réfléchissent tous deux à la poursuite de leur collaboration avec Le Malade imaginaire : « J’ai toujours vu cette pièce jouée sur le ton de la comédie, alors que pour moi, Argan est un vrai fou. » Espérons que nous puissions prochainement découvrir sur les planches cette version singulière du classique de Molière...

Clara Laurent

 

(mai 2017, D.R.) 

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