La Grande cuisine, Ted Kotcheff, 1978

 

En 1976 parait le roman astucieux de l’Américaine Nan Lyons, Someone is Killing the Great Chefs of Europe. Un mystérieux assassin s’ingénie à trucider les uns après les autres dans leurs cuisines les meilleurs chefs européens, victimes en quelque sorte de leur spécialité. Le réalisateur canadien éclectique Ted Kotcheff (Rambo, 1982) s’empare rapidement de cette histoire pour l’adapter sur grand écran avec un casting 5 étoiles au Guide Michelin. Entre comédie du remariage, Agatha Christie et Top chef de luxe, La Grande cuisine (1978) se termine mieux que La Grande bouffe pour son gargantuesque héros (Robert Morley) et sa succulente protégée (Jacqueline Bisset). Un film oublié, qui vaut la peine d’être redécouvert.

 

 

 

Le très britannique Max Vandeveer (Robert Morley), célèbre critique gastronomique, règne en despote sur sa revue qui fait et défait les réputations des chefs du monde de la food. Pour sa première apparition, Kotcheff filme Morley dans une contre-plongée soulignant son ventre éléphantesque. Célèbre à l’époque en Grande Bretagne avec ses spots pour British Airways (réalisés justement par Kotcheff), Robert Morley est parfait en critique à la fois bec fin, snob et suicidaire. Le médecin de Max lui annonce que son amour immodéré pour la bonne bouffe l’a mené à sa perte : il ne lui reste que quelques mois à vivre. Max se fait une raison : « Les autres peuvent bien manger pour vivre. Moi, je vis pour manger. »

 

 

Dans le dernier numéro de sa revue, Max imagine le repas idéal : pigeon en croûte du chef suisse Louis Kohner (Jean-Pierre Cassel), homard à la vénitienne du chef italien Fausto Zoppi (Stefano Satta Flores), canard au sang du chef parisien Jean-Claude Moulineau (Philippe Noiret) et pour finir en beauté, bombe Richelieu flambée de la cheffe américaine Natacha O'Brien (Jacqueline Bisset). Il organise bientôt un dîner pour sa Majesté the Queen of England à Buckingham palace.

 

 

Dans la séquence tournée en vérité dans les cuisines du Lido de Paris, Kotcheff, qui a recruté de vrais professionnels de la gastronomie, met en scène l’effervescence fiévreuse typique d’une brigade… Le chef français Granvilliers (Jean Rochefort) débarque pour en découdre avec son rival suisse. Cassel et Rochefort se jettent noms d’oiseaux et crème fouettée, escriment à coups de baguette de pain. L’amer Rochefort devient bien sûr un des suspects n°1 lorsque Cassel est retrouvé par Jacqueline Bisset calciné dans le four où il concoctait ses pigeons. La pâtissière venait de s’envoyer en l’air avec le chef suisse, ce qui n’avait pas plu à son ex-mari (George Segal), poursuivant sans relâche la belle pour la convaincre de convoler à nouveau avec lui. Inutile de dire que ce roi américain du fast food est lui aussi sur la liste des suspects…

 

 

De Londres, on s’envole à Venise pour retrouver le meilleur chef italien noyé dans l’aquarium où s’ébouaient ses homards. Ted Kotcheff a obtenu de Peggy Guggenheim la permission de construire une terrasse de restaurant sur l’embarcadère de son musée. Se plaisant à promener le spectateur dans des lieux mythiques de la gastronomie et du luxe, le réalisateur filme aussi au Danieli et au Cipriani.

A Paris, c’est au restaurant du Pré Catelan qu’il réunit les chefs français, à la fois terrifiés à l’idée d’être le prochain sur la liste du tueur, mais bien tentés d’être considérés comme le meilleur par l’assassin connaisseur. Outre Rochefort et Noiret, on retrouve notamment Jacques Balutin, mais aussi Jacques Marin que Kotcheff avait aimé en inspecteur dans Charade (Stanley Donen).

 

 

A la Tour d’argent, Noiret fait la démonstration de la confection du « canard au sang », célèbre recette de l’institution parisienne où la carcasse de l’animal doit être pressée pour en extraire le sang qui sera ensuite lié à la sauce. Vous avez deviné comment va finir Noiret ? Kotcheff, très ami avec le comédien fine gueule, prit 20 kilos durant ce tournage : « Avec Philippe, on commençait à 13h et on sortait de table à 18h. » Max Vandeveer, lui, décide à la fin de se suicider pour de bon dans un ultime repas pantagruélique filmé comme une nature morte orgiaque. On ne spoilera pas le dénouement plein de twists.

 

 

La comédie macabre est matinée de comédie screwball dont Ted Kotcheff se dit particulièrement friand pour ses feux d’artifice de réparties cinglantes. Au studio de Munich où il tourne, il croise d’ailleurs son idole Billy Wilder en train de terminer Fedora… Jacqueline Bisset, en meilleure pâtissière du monde, apparait comme une héroïne moderne, pétillante d’intelligence, alerte et sensuelle. Kotcheff la filme pour sa première apparition en mouvement, avançant avec résolution sur le tapis roulant de l’aéroport, pleine de pep’s… Lors de son tango chez Maxim’s avec son ex-mari collant (George Segal)qui lui reproche l’échec de leur mariage, elle réplique du tac au tac, tel un digne épigone de Katharine Hepburn. Les autres couples de la piste de danse, qui n’ont pas perdu une miette de la dispute, prennent parti pour l’un ou l’autre et s’écharpent à leur tour. Une des séquences les plus drôles du film.

 

 

Paul Bocuse, conseiller sur le film, aimait à dire que pour faire de la grande cuisine, il fallait avant tous les meilleurs ingrédients. Kotcheff lui rétorquait que lui aussi avait choisi les meilleurs : à la photo, John Alcott, chouchou de Kubrick (Shining, Barry Lindon…) ; à la BO, le génial Henry Mancini (La Panthère rose, Diamant sur canapé…). A sa sortie en 1978, La Grande cuisine est boudé par le public. En 2011, alors que les chefs sont devenus des stars du petit écran et des réseaux sociaux, Kotcheff estime qu’il était en avance sur son temps. Possible. En tous cas, ce film, dit-il, a changé sa vie : « Les meilleurs chefs de la scène gastronomique mondiale ne me font plus payer. » Veinard.

© Clara Laurent

 

 

QUELQUES RÉPLIQUES DU FILM POUR LE PLAISIR:

 

« Ça te plait, Max ?

-Louis, c’est inouï. Un quintet de Schubert pour le palais. Les huitres pochées au champagne relèvent du sacré. Le carré d’agneau m’a ouvert des horizons inexplorés. C’est la jeune bécasse la plus inventive que j’ai mangée. »

 

 

« Ah Maximilien, merci d’être si ponctuel !

-Mon nom est Monsieur Vanderveelt ! J’évite les familiarités avec qui a mis ses doigts dans mon rectum. Même si l’expérience vous a plu. »

 

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