Amnon Weinstein : la lutherie ou la vie

D.R.

 

Le dimanche 5 mai, Shlomo Mintz et Cihat Askin, en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, feront vibrer des « Violons de l’espoir », instruments arrachés à un destin tragique par la grâce d’un luthier aux doigts d’or: Amnon Weinstein. Portrait d’un homme de cœur passionné.

 

Amnon Weinstein sait d’emblée mettre son interlocuteur à l’aise : son remarquable français, aux chantants accents israéliens, est hérité d’un séjour à Paris dans les années soixante, et sa chaleur communicative dénote le désir ardent de partager et transmettre. La transmission est d’ailleurs au cœur de sa trajectoire personnelle et familiale. Natifs de Vilnius (polonaise à l'époque), les parents d’Amnon Weinstein décident de suivre l’exemple d’un oncle émigré et s’installent à Tel Aviv en 1938. C’est dans cette même ville qu’Amnon voit le jour en 1939, dans un foyer où la musique occupe une place centrale : « Ma mère était pianiste, mon père violoniste et altiste. Il avait eu la bonne idée de se former à la lutherie avant de quitter la Pologne, prévoyant que ce métier lui serait utile. »

 

La lutherie, de père en fils…

 

S’il enseigne d’abord le violon, le père d’Amnon Weinstein s’établit effectivement comme luthier à Tel-Aviv, une activité qui rapidement lui réussit. Le petit garçon a le loisir d’observer son père réparer les instruments dans l’atelier installé dans la demeure familiale : « Au début je regardais, puis plus tard je me suis mis à aider mon père. » Cependant, le jeune homme effectue d’abord des études à l’Ecole des Beaux-arts de Tel-Aviv et débute une jolie carrière de sculpteur : « Mon travail était moderniste, d’inspiration surréaliste. J’ai eu l’occasion d’y développer mon habileté manuelle.» Si le jeune artiste rencontre le succès en exposant, il sent pourtant au fond de lui-même que la lutherie est sa véritable vocation. D’ailleurs, même au cours de son service militaire effectué au sein de l’Orchestre Symphonique de l’armée comme altiste et trompettiste, Amnon Weinstein est sollicité pour réparer les instruments à cordes…

Une fois son service militaire achevé, le jeune homme va donc se former dans la ville dont rêve tout luthier : Crémone, le berceau du violon, la ville des Stradivari, Guarneri et autres Amati ! Trois années durant, Amnon Weinstein perfectionne son art et parle avec délice l’italien qu’il apprend avec facilité: « J’ai l’oreille musicale, et après trois années passées à Crémone, on me demandait de quelle ville d’Italie je venais ! », se souvient-il avec nostalgie. De retour en Israël, le jeune luthier est prêt à reprendre l’atelier paternel florissant : « A l’époque, il n’y avait presque pas de luthiers à Tel-Aviv, contrairement à aujourd’hui… » Mais Amnon Weinstein souhaite encore aller plus loin dans l’excellence en apprenant auprès du grand Etienne Vatelot, maître incontesté de la lutherie  française: « En 1969, j’ai obtenu une bourse d’études pour aller à Paris auprès de Vatelot : cet homme est exceptionnel et a joué un grand rôle dans ma vie. »

 

Un projet qui vient de loin…

 

Ainsi, quand Amnon Weinstein commence à songer à son projet des « Violons de l’espoir », Etienne Vatelot lui apporte un soutien moral sans faille : « Allez-y !, m’a-t-il dit, c’est important ! Et quand j’ai eu besoin d’aide, Vatelot a toujours été présent. » Ce projet, le luthier israélien le porte en lui depuis bien longtemps. En effet, lorsqu’on est né en 1939 d’une famille juive ashkénaze, l’histoire de la Shoah hante forcément la conscience : « En 1946, quand mon père a compris que la totalité de notre famille avait péri pendant la guerre, il a fait une crise cardiaque, dont il a heureusement réchappé. » Les informations sur le destin de la famille d’Amnon Weinstein sont très difficiles à recueillir : « Du ghetto de Vilnius, ils ont été déportés en Estonie. Mais malgré des recherches à Yad Vashem, on ignore le lieu exact de leur assassinat.» Cette béance a certainement été un moteur puissant pour collecter les violons abîmés des victimes de la shoah et les ressusciter en leur donnant une nouvelle vie. Tout se passe comme si ces violons étaient les avatars de leurs anciens propriétaires : les réparer, les jouer, c’est faire parler les morts. Cette quête a amené Amnon Weinstein sur toutes les routes d’Europe, à la recherche de violons « klezmer», instruments populaires et modestes, mais également de violons plus précieux. « J’achète tous les violons intéressants que je trouve, et je le fais tout seul, sans aucune aide extérieure », précise le luthier. Parfois, réparer un violon chargé d’une histoire particulièrement lourde peut engendrer de singuliers phénomènes : « Je viens de travailler sur un violon du camp de Drancy… J’ai eu l’impression d’entendre des trains… », évoque ainsi, troublé, Amnon Weinstein. Il est vrai qu’au cours de ses recherches, le luthier a recueilli nombre d’histoires tragiques, celles de destinées brisées dans la tourmente de la guerre. Ainsi de cet orchestre formé en Israël en 1936 sur l’initiative de l’immense chef Arturo Toscanini et du musicien Bronislaw Huberman : « Ce violoniste polonais avait vécu à Berlin et vite compris la virulence du nazisme… C’est pourquoi il a recruté les meilleurs instrumentistes juifs dans toute l’Europe pour créer un philharmonique à Tel-Aviv. Mais en ce temps-là la vie y était rude, et après quelques temps, ces musiciens et leurs familles — un millier de personnes — ont décidé de retourner en Europe. Ils ont tous été décimés par la Shoah. »

 

Cette mission des « Violons de l’espoir » que s’est assigné le luthier israélien résonne comme l’œuvre d’une vie. « Chaque violon restauré est comme le mémorial de la personne qui a joué de cet instrument », explique Amnon Weinstein. Le moment le plus important de ce processus de résurrection étant pour le luthier celui du concert : « C’est quand l’instrument vibre sous l’archet de l’interprète que la vie résonne de nouveau. » Ne dit-on pas que les violons ont « une âme » ? Et lorsqu’on demande à ce passionné s’il a une préférence pour l’un de ces instruments, Amnon Weinstein répond avec tendresse : « Ces violons sont mes enfants : je les aime tous autant! »

 

(Clara Laurent -  La Gazette de Monaco, mai 2013 - Droits réservés)

 

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