En septembre 1993, Jean-Christophe Maillot était nommé par la princesse Caroline de Hanovre directeur-chorégraphe de la compagnie des Ballets de Monte-Carlo. Vingt ans plus tard, le « paquebot » de la danse monégasque, emmené par un capitaine toujours aussi enthousiaste, poursuit sa passionnante traversée, s’exportant sur tous les continents. Rencontre avec les acteurs d’une réussite incontestable.
On pénètre toujours avec autant de bonheur dans les locaux très spéciaux des Ballets de Monte-Carlo. « L’Atelier » de l'avenue Paul Doumer, ancienne scierie de bois entièrement remodelée, est un lieu vaste, baigné de lumière, hyper fonctionnel. Il émane de ses murs une atmosphère chaleureuse et inspirante. On comprend que ses hôtes s’y sentent tous si bien. Qu’ils soient danseurs, costumiers, pianistes, maîtres de ballets, techniciens ou encore membres de l’administration, tout le monde s’accorde à reconnaître le privilège qu’il y a à travailler dans cet espace à part.
Il faut dire que le génie du lieu n’explique pas tout : c’est aussi l’harmonie qui règne entre les protagonistes de l’Atelier qui crée ces bonnes vibrations. La danseuse Noélani Pantastico, Américaine arrivée en 2008 des Ballets de Seattle, témoigne ainsi de ce climat humain exceptionnel : « J’avais l’habitude d’une direction très stricte, de places assignées, de collègues qui ne se parlaient pas… Quel changement lorsque je suis arrivée ici !» La maîtresse de ballet Giovanna Lorenzoni évoque elle son bonheur toujours renouvelé de travailler avec son complice Jean-Christophe Maillot depuis plus de vingt ans. La danseuse américaine April Ball, à Monaco depuis neuf ans, elle parle quant à elle d’« un véritable esprit de famille ».
L’instigateur de cette belle cohésion n’est autre que le maître d’œuvre, Jean-Christophe Maillot. Ce dernier revendique avec force l’importance de cette concorde et de ce climat de confiance qu’il a su instaurer, estimant que pour donner le meilleur d’eux-mêmes, les danseurs n’ont pas besoin d’une atmosphère tendue : « Le métier est déjà tellement exigeant en lui-même ! » On sait que ce n’est pas toujours le cas dans le milieu souvent impitoyable de la danse.
Nouvelle naissance des Ballets de Monte-Carlo
Mais faisons un petit voyage en arrière… Dans les années 1930, Monaco est un lieu phare de la danse, vers lequel les regards du monde entier convergent. Diaghilev, Fokine, Balanchine… la fine fleur de l’avant-garde chorégraphique a choisi la principauté comme lieu d’élection. Les « Ballets russes de Monte-Carlo » y rayonnent de mille feux. Le début des années 1960 voit pourtant la disparition des Ballets en principauté. Il faudra attendre 1985 et la volonté de la Princesse Grace et de Caroline pour que les « Ballets de Monte-Carlo » voient le jour. A cette époque, Jean-Christophe Maillot, directeur de ce qu’il a réussi à métamorphoser en « Centre chorégraphique national » de Tours, est invité régulièrement en Principauté, avec des pièces comme Le Mandarin merveilleux.
En 1992, c’est L’Enfant et les sortilèges : « A ce moment-là, la compagnie était livrée à elle-même, sans directeur. Le ministre Michel Éon, m’a demandé comment je voyais l’avenir des Ballets. J’ai été très franc. Il a fait part de notre conversation à la princesse Caroline, qui m’a alors demandé de prendre la direction de la compagnie. » Le chorégraphe a alors 32 ans. Il demande une année de collaboration comme conseiller artistique avant de sauter le pas. « Une relation d’amitié artistique est née avec la princesse Caroline ; cette réflexion commune sur l’identité des Ballets a été fondamentale. »
De toute évidence, la façon dont Jean-Christophe Maillot sait articuler langage classique et sensibilité contemporaine a su séduire Monaco. Dialectique féconde entre la tradition et l’invention qui se déploie dans les créations. La balance penchant du côté du néoclassique — ou « post-classique » comme Jean-Christophe Maillot préfère le nommer — avec les grands ballets narratifs, et du côté de l’épure plus contemporaine dans ses pièces plus courtes. Cette capacité à embrasser tout le spectre de la danse — de Roméo et Juliette à Entrelacs, de Shéhérazade à Vers un pays sage — c’est la façon pour le chorégraphe de se jouer des « chapelles exaspérantes » selon son expression, pour affirmer un bel appétit « de faire bouger toutes ces lignes !»
(Clara Laurent - Paru dans La GAzette de Monaco, octobre 2013 - Droits réservés