Danielle DArrieux, chanteuse

« Quand j’étais môme

On avait aussi nos idoles

Danielle Darrieux

On n’ fait pas mieux »

(« Quand j’étais môme »,

Léo Ferré, 1964)

 

 

Dans Un mauvais garçon, 1936, Darrieux chante "Je ne donnerais pas ma place pour un boulet de canon..."

 

   Danielle Darrieux est née en 1917, Léo Ferré en 1916 : quand il « était môme», le grand chanteur était fan de la « drôle de gosse » du cinéma français, comme le reste de sa génération. Il s’en souvient lorsqu’il compose sa chanson en 1964 et célèbre « l’idole » de sa jeunesse…

En 2002, l’actrice octogénaire continue de séduire de jeunes artistes, comme François Ozon qui lui confie le rôle de la grand-mère de Huit femmes. Si le surdoué du cinéma français choisit Darrieux, c’est en cinéphile averti, mais aussi parce que l’actrice est une chanteuse remarquable, qui sait à 85 ans interpréter la dernière chanson du film avec une voix encore très sûre.

   Lorsque la même année, Patrick Bruel enregistre un album de chansons françaises « rétro » (Entre deux), il pense à Danielle Darrieux pour un duo. C’est ce dont il témoigne avec sincérité et émotion dans le beau texte qu’il a écrit pour l’épilogue de mon livre, Danielle Darrieux, une femme moderne (Hors collection, avril 2017). Ce texte écrit par Patrick Bruel m’a donné le désir de revenir plus précisément sur les talents de chanteuse de la star dès son plus jeune âge.

 

Chantant "Charade" dans Battement de coeur (1939)

 

Danielle Darrieux est née dans un milieu de mélomanes : son père, ophtalmologiste, était un bon pianiste, sa mère cantatrice donnait des leçons de chant. La famille organise des soirées musicales dans l'appartement parisien de rue de la pompe, recevant de grands musiciens comme les pianistes Yves Nat ou Marguerite Long…

La jeune Danielle apprend le violoncelle au conservatoire. Elle adore aussi fredonner des airs tout le long du jour… Pour apprendre ses leçons, elle a même l'idée de les mettre spontanément en musique ! Sa mère lui apprend à parfaire sa jolie voix de soprano en lui faisant interpréter des mélodies françaises de grands compositeurs comme Fauré, Debussy ou Duparc. La petite est particulièrement douée. Aussi, lorsqu’elle est engagée à l’âge de 13 ans et demi pour son premier film, Le Bal (1931), le réalisateur Wilhelm Thiele lui fait chanter deux chansons à l’écran : sa voix fraîche et bien placée fait merveille et séduit beaucoup le public.

 

Dès lors, Danielle Darrieux chantera presque dans tous ses films des années trente, à la manière d’une parenthèse musicale attendue des spectateurs. C'est le cas dans Coquecigrole ou Retour à l'aube.

Darrieux sait instiller du swing dans certaines de ses chansons, comme dans Un mauvais garçon (1936), avec "J'ne donnerai pas ma place":

 

 
C'est également le cas dans Mademoiselle Mozart (1935), un film où DD tient un magasin de musique et aime à swinger "tout doucement" lors d'un duo avec son partenaire Pierre Mingand au piano. 
 

 

Dans Mademoiselle ma mère (Henri Decoin, 1937), elle entonne une romance en se moquant de son époux bedonnant mystifié, Alerme...

 

 

Dans ce qu'on peut considérer comme le sommet de ses comédies des années trente, Battement de coeur (Henri Decoin, tourné en 1939), Danielle Darrieux interprète une ravissante "Charade" sur une musique de Paul Misraki.

 

 

En 1941, Darrieux triomphe dans Premier rendez-vous (Henri Decoin) et la chanson éponyme du film est un des plus gros tubes de l’Occupation.

 

 

La chanson de La Fausse maîtresse (1942), « Les Fleurs sont des mots d’amour », rencontre aussi un grand succès.

 

 

Au début des années cinquante, Hollywood réclame la Darrieux chanteuse: elle incarne une artiste de music hall dans Rich, young and pretty (Norman Taurog) aux côtés de grandes stars de la comédie musicale américaine, Jane Powell et Vic Damone.

 

Si elle chante moins dans ses films français des années cinquante, Max Ophuls aime la faire fredonner dans ses chefs d’œuvre : sur la musique originale de Georges Van Parys dans Madame de, ou sur une ritournelle populaire dans Le Plaisir.

Partenaire de Bourvil dans Un drôle de dimanche (Marc Allégret, 1958), l’actrice interprète la chanson « Le Temps d’aimer », sur une musique de Paul Misraki.

 

Le Dimanche de la vie, 1967

 

   Dans les années 1960, Darrieux donne un nouvel élan à son activité de chanteuse. Alors qu’elle incarne une vedette de la variété dans le thriller Meurtre en 45 tours (1960), elle débute une carrière sur scène (Bruxelles, Paris) et enregistre de nombreux disques, parallèlement à son activité d’actrice de cinéma. Elle chante dans plusieurs films de la décennie, dont Patate (1964), où elle incarne la mère de la star des yéyé Sylvie Vartan.

  Dans un film méconnu de Jean Vautrin, Le Dimanche de la vie (1967), elle interprète une très belle ballade sur une musique de Georges Delerue et des paroles de Raymond Queneau.

 

 

Avec Sylvie Vartan, dans Patate (1964)

 

   C’est peut-être Jacques Demy qui offre à Darrieux sa plus belle occasion de montrer ses talents de chanteuse sur une musique de Michel Legrand dans Les Demoiselles de Rochefort (1966), film où elle est la seule de toute la distribution à ne pas être doublée — Gene Kelly n’avait pas eu le temps d’apprendre ses chansons en français et ce n’est donc pas la voix de la star américaine que l’on entend.

Jacques Demy donnera à Darrieux quelques années après une nouvelle occasion de chanter dans Une chambre en ville (1982) sur une musique de Michel Colombier. 

 

"A présent je suis seule et je n'ai plus 20 ans...." Les Demoiselles de Rochefort, 1967

 

   Quelques années plus tôt, la star chante aussi (et danse) dans Divine (Dominique Delouche), un film entièrement conçu à la gloire de l’actrice. A pas loin de 60 ans, habillée comme Liza Minelli dans Cabaret, elle impressionne en chantant du Kurt Weill.

 

En 1970, Darrieux reprendra au pied levé le rôle de Katharine Hepburn sur une scène de Broadway pour une comédie musicale sur la vie de Coco Chanel (Coco, musique d’André Prévin): l’actrice reçoit des standing ovations pour sa performance de chanteuse et danseuse. Elle en garde une certaine fierté, elle qui d’ordinaire sait rester si modeste. Il faut dire que Katharine Hepburn était son idole de toujours… 

 

Darrieux dans "Coco", comédie musicale sur Gabrielle Chanel
 
   Paul Vecchiali, grand admirateur de Darrieux depuis l’enfance, offre quant à lui à l’actrice en 1982 le rôle principal d’En haut des marches, film dans lequel il lui fait chanter a cappella le poème de Baudelaire « L’Invitation au voyage » sur une musique d’Henri Duparc

 

Dans les derniers films de sa carrière entre 1990 et 2010, les réalisateurs font souvent chanter Darrieux. Dans un film mineur, Bille en tête, adaptation du roman d’Alexandre Jardin, elle interprète en duo avec Thomas Langmann une chanson entraînante de Charles Trenet, « À l’île Maurice ».

Dans Nouvelle chance d’Anne Fontaine, où elle incarne une ancienne vedette d’opérette désormais retraitée, elle entonne sur scène une autre chanson de Trenet, « La Folle complainte ». Cette chanson de 1951 est une des plus subversives du « fou chantant », puisqu’elle évoque l’onanisme féminin !

 

Dans Nouvelle chance, avec Arielle Dombasle

 

    Dans Huit femmes (2002), la doyenne des stars interprète la dernière chanson du film, « Il n’y a pas d’amour heureux ». Ce poème d’Aragon mis en musique par Brassens est interprété avec une grande justesse par l’actrice de 85 ans, qui exprime une émotion poignante en tenant la main de sa petite-fille du film, Ludivine Sagnier.

   

C’est la même année que Patrick Bruel sollicite Darrieux pour enregistrer avec elle son duo, « A Paris, dans chaque faubourg ».

 

Trois ans plus tôt, le célèbre pianiste Alexandre Tharaud lui avait demandé d’être récitante sur un disque Francis Poulenc (édité chez Naxos).

 

 

Paul Vecchiali, lauréat du Prix Vigo d’honneur 2016 m’a confié très récemment que Danielle Darrieux, qui a perdu la vue, chantait toujours beaucoup. Pour le féliciter de son prix, elle lui a interprété au téléphone « Il n’y a pas d’amour heureux ».

 

On me demande souvent si j’ai une idée sur le secret de la longévité de Danielle Darrieux. Il me semble que le goût pour la musique et la pratique du chant ne sont pas étrangers à cette vitalité hors norme !

 

Clara Laurent ( 22 avril 2017, Droits réservés)

"Il n'y a pas d'amour heureux... " dans Huit femmes, aux côtés de Ludivine Sagnier (2002)
Sortie le 27 avril 2017

"Danielle Darrieux, une femme moderne" parution 20 septembre 2023 chez Nouveau Monde Éditions (dans une édition revue et augmentée)

"Herbert Traube, le destin français d'un indésirable", un film documentaire de 88 min (2022)

 

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