Philosophie et cinéma : entretien avec le cinéaste Luc Dardenne

Les Rencontres philosophiques de Monaco ont eu la bonne idée d’inviter en juin 2016 le célèbre réalisateur Luc Dardenne, auteur avec son frère Jean-Pierre d’une œuvre exigeante et saluée dans le monde entier, mais aussi passionné de philosophie, comme il l’a révélé lors de son intervention aux côtés d’Alain Fleischer et Peter Szendy pour débattre des liens unissant le 7e art et la philosophie.

 

Le grand réalisateur belge a bien voulu répondre aux quelques questions que nous lui avons posées. Entretien.

 

 

Luc Dardenne (Photo Clara Laurent, D.R.)

 

On ne vous attendait pas ici, à Monaco…

 

C’est Robert Maggiori qui m’a proposé de participer à ce colloque. Il m’a envoyé le programme, j’ai trouvé ça intéressant, j’ai vu que c’était pas de la frime ! Je trouve très bien que Charlotte Casiraghi ait lancé ce projet, qu’elle contribue à la diffusion de la philosophie, et ici ce ne sont pas des concepts prêt-à-porter qui ont été agités. Pendant ces deux jours de colloque, j’ai appris beaucoup de choses, notamment  sur la musique, la manière de regarder la danse, et aussi sur le sport ; c’est peut-être ce sujet-là qui m’a le plus intéressé et où j’ai le plus appris, avec Heinz Wisman…

 

Depuis quand vous intéressez-vous tant à la philosophie ?

 

J’ai découvert la philosophie au lycée avec un professeur de grec : il nous faisait lire Platon, Aristote... J’ai travaillé très jeune comme assistant du poète et metteur en scène Armand Gatti, qui se trouve être né à Monaco — son père y était éboueur… A cette époque, un ami comédien, qui avait suivi des cours de philosophie à Bruxelles, m’a montré un cours où étaient comparées La République de Platon et la société sans classes du marxisme. Je l’ai lu, et ça m’a donné envie d’étudier la philosophie. Je suis allé à l’Université de Louvain, j’ai étudié notamment la phénoménologie, avec Jacques Taminiaux…

 

La philosophie reste-t-elle depuis très présente dans votre vie ?

 

J’en lis tous les jours. J’aime relire les dialogues de Platon, il m’en reste deux à lire que je ne connais pas. Je suis aussi en train de lire en entier L’Ethique de Spinoza. Mais je lis aussi des philosophes contemporains : par exemple dernièrement Le Consentement meurtrier de Marc Crépon, ou bien Les Irremplaçables de Cynthia Fleury.

 

Rencontres philosophiques de Monaco 2016, Alain Fleischer, Peter Szendy, Luc Dardenne (C.L., D.R.)

 

Ne lisez-vous que de la philosophie ?

 

Non, je lis aussi de la littérature ! Et je vois des films. Je n’ai pas de vie mondaine, je ne sors pas. En dehors de ma famille et de mes quelques amis, j’aime parler des heures avec l’épicier du quartier, ou le garagiste. Un des problèmes du cinéma français ou américain, c’est d’avoir créé un milieu artificiel. C’est un cinéma qui se fabrique des thèmes, des personnages. Je reçois beaucoup de scénarios via ma maison de production, et je suis frappé par ces histoires déconnectées…

Mais il y a des films qui échappent à ça. Par exemple, j’ai beaucoup aimé les deux films de Léa Fehner : Qu’un seul tienne et les autres suivront, et Les Ogres. Ou bien encore le film des sœurs Coulon, Voir du pays, qui était à Cannes cette année à Un certain regard, un film sur deux jeunes femmes militaires qui reviennent d’Afghanistan…

 

Et le cinéma hollywoodien ?

 

Dans le cinéma américain, j’aime beaucoup les films des frères Coen, leur dernier sur Hollywood, Avé César m’a fait beaucoup rire, notamment les scènes avec les Marxistes ! J’aime aussi les films de James Gray, en particulier We own the night, ou bien Little Odessa. Dernièrement, j’ai beaucoup aimé Elle de Paul Verhoven. Vous savez, il n’a pas pu faire le film à Hollywood car aucune actrice ne voulait du rôle, même Sharon Stone a dit non !

 

Quel rôle joue la philosophie dans votre façon de faire des films ?

 

Elle me nourrit. Je partage mes lectures avec mon frère, qui lui a d’autres sources d’inspiration. On ne part pas de concepts qu’on essaierait de mettre en scène, surtout pas ! Levinas m’a fait penser à des choses, qui m’ont inspiré pour des films : la relation éthique. Comment un être humain peut être possédé par un autre, comment l’injonction d’autrui peut faire qu’il ne décide plus. Comment un personnage non altruiste peut devenir finalement altruiste. Dans Rosetta ou Le Gamin au vélo, on a filmé les personnages de telle façon qu’ils échappent, on a filmé les mouvements de leurs corps — une chorégraphie involontaire.

 

Pensez-vous que les écoles de cinéma soient essentielles pour former les futurs cinéastes ?

 

Avec mon frère, nous n’avons pas fait d’école de cinéma. Mais je n’ai rien contre. A la FEMIS, il semblerait que ces dernières années, les meilleurs étudiants qui fassent des films sont issus du département scénario… Il y a aussi une nouvelle école qui vient d’être fondée, il y a environ un an, près de Lyon, La CinéFabrique, par Claude Mourieras.

 

Vous pourriez écrire une histoire qui se passerait ici à Monaco ?

 

Pourquoi pas ! Non, en fait, vous savez, c’est difficile pour des réalisateurs dont le cinéma est tellement lié à un lieu, comme l’est le nôtre avec la Wallonie, de quitter ce lieu, au risque de se perdre.

 

Propos recueillis par Clara Laurent (2016, Droits réservés)

 

 

 

Luc Dardenne, 2016 (Photo Clara Laurent D.R.)

 

 

Les Rencontres philosophiques de Monaco :

une nouveauté enthousiasmante !

 

D’octobre 2015 à juin 2016 a eu lieu une toute nouvelle manifestation très ambitieuse et exigeante, lancée par Charlotte Casiraghi, muée selon ses mots par « un désir sincère et profond de célébrer la philosophie, de l’intégrer à la vie culturelle de la Principauté. » Chaque mois a eu lieu un « atelier », au cours duquel deux à trois philosophes de renom sont venus discuter une question, toute rattachée pour cette première édition au thème qui devrait concerner tout le monde: l’amour. En juin, les Rencontres se sont clôturées en beauté par un colloque international (cette année, le thème est « la rencontre »), au cours duquel ont été décernés un prix pour le meilleur ouvrage publié en langue française, ainsi qu’un prix couronnant la maison d’édition ayant le mieux soutenu la philosophie.

 

Charlotte Casiraghi, présidente de ces Rencontres, a su s’entourer de riches personnalités pour fonder ce projet, dont son propre professeur de philosophie lorsqu’elle était étudiante, Robert Maggiori, mais aussi Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly.

 

Si nous sommes en permanence tous soumis à un flot continu d’informations provenant de sources toujours plus nombreuses, en particulier les canaux électroniques, Robert Maggiori, aime à souligner à juste titre qu’« être au courant » n’est pas « comprendre », et que la philosophie est un outil plus que nécessaire et légitime pour nous aider dans cette difficile tâche de « compréhension » du monde et de nous-mêmes.

 

Les élèves des classes de Terminale des établissements de Monaco, mais aussi tous ceux désireux de dépasser l’écume des phénomènes pour aller plus loin, ont su en bénéficier sans se laisser intimider par une discipline qui peut paraître à certains trop ardue : l’entrée de ces Rencontres était libre et gratuite.

Clara Laurent (D.R. 2016)

 

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