JANE WESTON, SPÉCIALISTE DE L'HUMOUR "CHARLIE"

Dessin original de Cabu (D.R., collection privée de Jane Weston)

 

Jane Weston est encore sonnée. Accablée par les événements survenus la sinistre semaine du 7 janvier dernier. Britannique, docteure en études francophones et traductrice, elle réside à Paris depuis près de dix ans.  Elle a consacré des années à l’analyse universitaire de l’« l’humour bête et méchant » d’Hara Kiri et Charlie hebdo. Entretien.

 

 

Comment avez-vous découvert Charlie hebdo ?

 

C’était en 2001, j’avais 21 ans et j’étais venue à Grenoble pour faire des études littéraires. Trois jours après mon arrivée survient le 11 septembre. J’ai découvert dans un kiosque la une de Charlie hebdo : je l’ai trouvée épatante.

 

C’est là que vous avez décidé de consacrer votre thèse de doctorat à l’hebdomadaire?

 

Eh bien, quand j’ai dû choisir un sujet de recherche, je me suis dit que l’humour était un aspect crucial de l’apprentissage d’une langue étrangère. Moi-même, lorsque je parvenais à parfaitement comprendre une blague en français, j’étais ravie.

 

Une sorte de pierre de touche de la maîtrise d’une langue étrangère ?

 

Absolument ! Par ailleurs, je me suis dit que passer par le biais de l’humour pour enseigner le français, cela fascinerait les étudiants.

 

Et cet humour « bête et méchant », vous le voyez comme typiquement français ?

 

Je peux certes trouver quelques traits de similarité avec des humoristes anglais, mais dans l’humour d’Hara Kiri et de Charlie hebdo, c’est indéniable qu’il y a quelque chose de spécifiquement français. Il y a une absence de compromis dans cet humour, certains diraient une absence de compassion pour ses cibles. Au début de mes recherches, j’étais parfois interloquée par ce côté tellement corrosif. Il faut comprendre qu’il y a une tradition de la caricature en France qui est plus militante qu’en Angleterre. C’est un phénomène lié à votre histoire, à la Révolution, à cette lutte pour la liberté contre l’oppression.

 

Vous avez commencé par travailler sur le magazine Hara Kiri ?

 

Oui, c’était logique de débuter par le magazine fondé en 1960 par le professeur Choron et par Cavanna, dont l’autobiographie m’a aidé à comprendre l’état d’esprit du magazine, qui va droit au but, sans tabou.

 

Comment avez-vous procédé pour étudier Charlie hebdo, l’héritier d’Hara Kiri ?

 

Evidemment, j’ai travaillé sur les archives, mais j’ai aussi eu l’immense chance de pouvoir régulièrement me rendre sur place, de 2003 à 2009. J’ai été, à ma grande surprise, très bien accueillie par l’équipe, alors que je craignais qu’ils rejettent une universitaire — j’étais un peu aux antipodes de ce qu’ils faisaient quand même ! Mais au fond, outre une ouverture d’esprit générale qui m’a ravie, j’ai eu l’impression qu’ils étaient intrigués qu’une Anglaise s’intéresse à leur humour, et peut-être même un tout petit peu flattés ! Et puis, il m’a semblé qu’ils ont vite compris que j’avais vraiment beaucoup lu leur hebdomadaire, que leur travail me passionnait.

 

Vous avez pu assister à des conférences de rédaction ?

 

Oui, et même à de nombreuses reprises sur plusieurs années. A l’époque où Philippe Val était là, c’était souvent le lieu de débats intenses sur le côté militant de leur travail. Lorsqu’ils étaient ensuite livrés à eux-mêmes, certains dessinateurs se « lâchaient » du côté d’un humour plus loufoque, me semble-t-il.

 

Qui vous a le plus marqué ?

 

Difficile à dire. Disons que c’est vrai que Cabu avait un côté hyper doux, sensible, un peu éternel gamin, vraiment attachant. Mais mordant aussi dans ses dessins : il a été extrêmement marqué par la Guerre d’Algérie, et il en a gardé une rage contre l’armée. Cabu m’a fait l’honneur de dessiner une dédicace où il me met en scène avec Sarkozy. Je garde depuis précieusement ce dessin amusant, qui me touche. Je me souviens aussi qu’il y avait un peu un jeu de rôles entre les aînés et les plus jeunes. Cavanna, c’était un peu le père, et les jeunes, comme Luz, Riss ou Charb, c’était les fils spirituels.

 

Et Wolinski ?

 

Il était très bienveillant avec moi, même si lorsque je me suis présentée la première fois et que j’ai dit que j’étais anglaise, il a rétorqué : « Nul n’est parfait ! ».

Je garde très fort en mémoire tous ceux qui ont perdu la vie le 7 janvier. Depuis l’affaire des caricatures danoises, toute l’équipe de Charlie refusait de se laisser envahir par la peur et parvenait à s’amuser en travaillant, en dépit de toutes les menaces qu’ils subissaient. Ils resteront à tout jamais pour moi des maîtres de l’expression satirique, dans la lignée de la tradition corrosive française de la caricature.

 

Propos recueillis le 14 janvier 2015 par Clara Laurent

 

 

Jane Weston (D.R.)

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