Jean-René Palacio : a kind of jazz…
Directeur artistique de la SBM depuis 2001, et à ce titre programmateur de la mythique salle du Sporting d’été et du « Monaco Jazz Festival » fondé en 2006, Jean-René Palacio s’est vu confier il y a deux ans la direction artistique du légendaire festival « Jazz à Juan ». Enfant du rock et de la soul, Jean-René Palacio a découvert le jazz jeune adulte, et l’éclectisme musical reste pour lui un credo, qu’il met en application dans l’émission bimensuelle qu’il anime depuis février 2011 sur Radio Monaco : « A kind of Jazz » — une définition du jazz non restrictive et accueillante. Portrait d’un homme qui se bat contre les chapelles et dont le moteur demeure le partage.
Pour parvenir au bureau de Jean-René Palacio, il faut entrer dans la salle du Sporting d’été, impressionnante même vide et désordonnée, avec sa baie vitrée découvrant une vue imprenable sur la mer et Monaco. Une petite ascension par des escaliers mène dans une ruche de bureaux, dont le couloir s’orne de photographies noir & blanc des artistes mythiques qui se sont produits en principauté. Le maître des lieux jonchés de CD et de vinyles nous accueille, occupé par son Iphone relié à un gros combiné de téléphone rétro bleu électrique, une musique arabo-andalouse en arrière-fond. Renseignement pris, il s’agit d’un album du grand Lili Boniche. « J’adore cet artiste … Je suis né en Algérie en 1953, à Oran, un an avant la naissance officielle du rock — je veux dire celle d’Elvis », nous explique Palacio, livrant d’emblée deux clefs de son univers : une petite enfance de l’autre côté de la Méditerranée (après Oran, ce sera le Maroc) qui l’imprègne profondément, et l’attachement à la musique américaine qui a révolutionné le XXe siècle. « Dans ma famille d’origine espagnole, il y avait des musiciens, un grand-oncle pianiste, un cousin qui faisait du saxophone…. L’un de mes cousins est venu un jour à la maison avec un disque d’Otis Redding, j’avais douze ans. » C’est une révélation. Le jeune Palacio découvre dans la foulée James Brown, Jimmy Hendricks… Le tropisme pour la musique anglo-saxonne est tel qu’il ne se sent pas concerné à l’époque par la chanson française. Et comme beaucoup de ses congénères des sixties, le jeune homme s’essaie à la basse et chante dans un groupe rock.
De l’I.E.P Lyon … à Jazz à Vienne et la radio
A cette époque, Jean-René est en métropole, la famille Palacio s’étant établie à Vienne dès 1960. Son diplôme de Science-po Lyon en poche, le jeune homme se destine à reprendre l’entreprise paternelle de produits de boulangerie-pâtisserie. Mais quelques temps après, la vente de l’affaire familiale se révèle providentielle : « J’avais presque trente ans, et je me suis rendu compte que je désirais faire un métier qui soit le plus proche possible de la musique. » Palacio devient alors bénévole au Festival de jazz de Vienne, fondé en 1981 par Jean-Paul Boutellier, dont il fait connaissance en lui prêtant par hasard une basse pour un concert. Tout en travaillant dans un magasin de disques et d’instruments, « La Source musicale », Palacio s’implique dans le festival de jazz de Vienne qui prendra vite l’ampleur qu’on sait : « J’ai fait le chauffeur, le technicien régie… L’occasion de côtoyer des géants comme Miles Davis ou John Lee Hooker. Tous m’encourageaient en me disant : Fais ce qui te plaît, sinon, tu vas le regretter. » Ce conseil ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd ! Cette période des années quatre-vingt est en pleine effervescence radiophonique avec la libéralisation des ondes, et Palacio se lance en 1983 dans une radio locale : « Radio 2000 ». Puis, grâce au bénévolat de « Jazz à Vienne », des liens se nouent avec Radio France : « Je fais un stage à Paris, entre ensuite à Radio Isère (l’ancêtre de Radio bleu) comme animateur. Puis ce sera France Musique et France Culture. »
De FR3 au « Summum »
De la radio à la télévision, il n’y a qu’un pas… que Palacio franchit allègrement en produisant et présentant des émissions pour FR3 région : « J’y ai invité Cabrel, encore débutant… », se souvient-il, comme il se remémore les reportages qu’il faisait pour l’émission phare « Les Enfants du rock », avec des interviews de Sting ou Bashung. Mais voilà que dans la foulée de la création de la salle du Zénith à Paris, le maire de Grenoble, Alain Carignon, veut créer une salle pour sa ville dans le même esprit : « Je suis devenu directeur de la salle Le Summum. C’était vers 1986, et c’est là que je me suis vraiment ouvert à la chanson française… Johnny, Léo Ferré… » Toujours l’éclectisme, donc, avec les chanteurs du rap naissant, comme « I am », et encore des groupes anglo-saxons (Simply red, Oasis…). Toutes ces rencontres musicales permettent à Jean-René Palacio de se constituer un solide carnet d’adresses qui lui sert encore aujourd’hui.
La SBM, une entreprise empreinte de culture
L’année 1998 est une période charnière pour Palacio, qui se trouve obligé de quitter la direction du Summum pour cause de changement de maire : « Je me suis retrouvé chômeur. J’en ai profité pour m’occuper de mes enfants, pour regarder tous les matchs de la coupe du monde de foot et pratiquer le rugby ! » La chance de nouveau se présente vite: la SBM cherche un administrateur de spectacles. Fort de son expérience, Palacio est engagé, lui, le supporter de l’AS de Monaco depuis 1960, comme il aime à le confier… « Pendant deux ans, j’ai appris à m’intégrer à cette entreprise qui a une culture forte, des codes à assimiler. » En juillet 2013, la SBM fêtera ses 150 ans d’existence, et son directeur artistique depuis 2001 souligne avec force l’ouverture aux arts et à la création de cette entreprise depuis ses origines : « Je me sens héritier de cette culture, j’apporte ma pierre à l’édifice. »
Parmi ces pierres, on doit souligner la naissance en 2006 du Monaco Jazz Festival, dans ce lieu si particulier qu’est la salle Garnier. Quand on l’interroge sur la contradiction qu’il pourrait y avoir à jouer du jazz, musique née de la misère et de la contre-culture afro-américaine, dans une salle aussi majestueuse et ornée, Palacio a de solides arguments : « Dès 1944, Norman Granz a fondé « Jazz at the Philarmonic », donnant ses lettres de noblesses au jazz, dans des salles prestigieuses. Le jazz est la musique savante du XXe siècle. »
Et lorsqu’on demande au mélomane si le jazz ne court pas le risque du ressassement, il répond, confiant, que le jazz n’est pas par essence une musique immobile, mais fondée sur l’improvisation : « Les standards sont à réinterpréter indéfiniment, chaque musicien peut y mettre sa touche personnelle. » Palacio croit également dans l’apport du métissage avec des musiques exogènes, à l’instar de ce que fait Ibrahim Maalouf, programmé dans l’édition 2012.
Partager…
Palacio a pour ligne artistique, aussi bien à Monaco qu’à Juan-les-pins, de faire venir des grandes stars du jazz, locomotives de la programmation, pour permettre aussi de faire partager à un public qui lui fait confiance ses coups de cœur pour les nouveaux talents. Il est ainsi fier d’avoir programmé par le passé Avishaï Cohen ou Jamie Cullum… Palacio se souvient d’ailleurs comment le jeune britannique s’était jeté dans la mer après un concert à Juan, comme le fit jadis Dizzy Gillespie… S’occuper du plus vieux festival de jazz d’Europe n’est pas pour Palacio anodin : « Je me sens une responsabilité… La pinède est hantée. Le plus beau compliment qu’on m’ait fait dernièrement, c’est de faire revivre l’esprit du jazz à Juan. »
Comme animateur sur Radio Monaco, Palacio est mû par la même passion du partage: « J’arrive avec ma pile de disques, et je raconte des anecdotes autour des morceaux. Avec le jazz, il y a toujours des histoires incroyables… » Cette passion de passeur a été récompensée en novembre dernier : « J’ai été fait Chevalier des arts et des lettres. C’est Manu Katché qui m’a remis ma médaille, en présence de notre Souverain. J’étais très ému. Le Prince aime vraiment la musique et la connaît. Il aime les gens aussi et les musiciens le sentent. »
Après un tel parcours et une activité actuelle toujours aussi riche, on se risque à demander s’il existe un artiste mythique que Jean-René Palacio rêverait encore de programmer à Monaco : « Bruce Springsteen !, répond-il, et puis, Jimmy Hendricks », conclut-il, facétieux.
(Clara Laurent - La Gazette de Monaco, janvier 2013 - Droits réservés)