Le 6 février 1967 disparaissait à Monte-Carlo une des plus grandes vedettes du cinéma français des années cinquante, quelque peu oubliée de nos jours : Martine Carol. Une vie plus que mouvementée, des rôles populaires et un chef d’œuvre. Portrait vintage.
On imagine difficilement aujourd’hui les émeutes populaires que l’arrivée de Martine Carol au début des années cinquante produisait. Cecil Saint Laurent, l’auteur des romans Caroline-chérie, remarquait un jour que quiconque n’avait jamais assisté à ce genre de bousculades ne savait pas ce que la célébrité d’une star pouvait signifier. Comment une telle popularité put-elle exister subitement si fort, pour s’éteindre quelques années plus tard ?
Des débuts prometteurs
Marie Louise Mourer, dite Maryse, nait le16 mai 1920 dans la petite ville tranquille de Saint-Mandé, tout près de Paris. Très tôt, la jeune fille se sent une âme de comédienne. Elle suit le Cours Simon, devient amie avec les jeunes acteurs Micheline Presle et François Périer, se lie également d’amitié avec André Luguet, célèbre acteur stylé qui lui conseille de faire du théâtre. La jeune comédienne se retrouve dans la troupe de Gaston Baty et décroche des premiers rôles, dont celui de Phèdre de Racine. Des débuts très sérieux, donc…
Les premiers déboires
Sous l’Occupation, la comédienne est repérée par H.G. Clouzot qui lui confie un rôle dans une adaptation d’un roman de Colette, La Chatte. Le film ne passe pas la censure et ne sortira jamais sur les écrans. En 1943, Maryse se retrouve mêlée à une sordide affaire : elle expliquera que le célèbre malfrat Pierrot-le-fou l’a enlevée et l’a violée. Maryse Arley (tel est le pseudonyme qu’elle adopte alors) est traumatisée par ce terrible épisode.
Aux lendemains de la guerre, Martine Carol, puisque tel est désormais son nom de scène, a une brève liaison avec Jean Gabin : la jeune actrice est aux côtés de la star dans Miroir (1946). Puis un nouveau projet échoue en 1947: c’est l’aventure du film maudit de Marcel Carné La Fleur de l’âge (initialement intitulé L’île des enfants perdus, sur un scénario de Prévert). Une tempête empêche l’équipe de tournage de débarquer à Belle-île-en-mer, une figurante se noie : la production jette l’éponge.
La même année, la comédienne amoureuse de Georges Marchal, acteur au physique avantageux et qui a le vent en poupe, ne supporte pas qu’il l’ait délaissée au profit de l’actrice Dany Robin : elle se jette dans la Seine du haut du Pont de l’Alma. Le suicide raté (un conducteur de taxi la repêche) fait douter de nombreux journalistes de la sincérité de l’affaire : on suspecte un coup de publicité pour braquer les projecteurs sur une actrice qui a du mal à émerger…
Bientôt, un Américain la réclame pour son cirque : il veut exhiber « la plus belle femme du monde » ! Martine Carol accepte. Elle sillonne les Etats-Unis dans cet étrange numéro, et rencontre alors l’homme qui devient son premier époux, Steven Crane, marié déjà deux fois avec la blonde Lana Turner.
Martine chérie
Martine Carol commence à se faire une réputation : son physique de blonde pin up affole. Elle semble incarner la Parisienne délurée et bonne fille, coquette et glamour. C’est un rôle dans un film en costumes de Richard Pottier qui va assurer en 1951 la gloire de Martine Carol : Caroline chérie. Adapté de Cecil Saint-Laurent, le film met en scène une Révolution française d’opérette, dans laquelle une aristocrate (Caroline) se débrouille pour échapper à tous les pièges grâce à sa plastique affriolante, son naturel accort, et sa volupté « naturelle ». Une relecture de l’histoire de France peu progressiste, qui séduit largement le public de l’époque. Deux nouveaux épisodes de Caroline-chérie seront réalisés par la suite.
L’actrice enchaîne avec des films à succès, dont Méfiez-vous des blondes ou encore Adorables créatures. Dans ce dernier, où elle joue une ravissante emmerdeuse vénale, Martine Carol est dirigée par Christian-Jaque. Coup de foudre réciproque. Chacun est marié, il faudra attendre leurs divorces réciproques pour officialiser la liaison et convoler en justes noces.
Christian-Jaque offre à Martine Carol une série de rôles costumés — tous des succès : Madame du Barry, Nana, Lucrèce Borgia... La star est alors au faîte de sa notoriété : aussi blonde que son homologue américaine Marylin, elle arbore elle aussi des décolletés pigeonnant, typiques des fifties.
Et Bardot entraîna sa chute…
1955 : l’immense Max Ophuls donne à Martine Carol le rôle de Lola Montès dans sa superproduction. C’est son meilleur rôle, celui qui la fait prendre au sérieux par les critiques. Mais le chef-d’œuvre, salué notamment par François Truffaut, est un flop retentissant. Le public ne comprend pas ce film trop complexe, une critique du star system au ton grinçant. Ophuls est dévasté et meurt peu après.
Un an après explose le phénomène BB dans Et dieu créa la femme. Tout se passe comme si en un mambo endiablé, Bardot avait ringardisé la sensualité apprêtée de Martine Carol. C’est la chute, inexorable.
En 1959, Martine Carol épouse un troisième mari, le Docteur Rouveix. En 1966, c’est au tour du milliardaire anglais Mike Eland. Martine Carol a tenté un come back dans Nathalie (Christian-Jaque), puis Nathalie agent secret (Henri Decoin), deux succès relatifs. Mais les années 1960 sont marquées par de nouveaux visages : Brigitte Bardot, Jeanne Moreau, Annie Girardot… Le côté factice de la peroxydée Martine Carol ne séduit plus. L’actrice a mauvaise réputation : dépressive, elle boit, consomme trop de médicaments, exige d’avoir encore et toujours des égards de super star.
Un soir de février 1967, Martine Carol, invitée avec son mari à un gala à Monaco, se retire dans sa chambre de l’Hôtel de Paris. Elle se sent fatiguée. Dans la nuit, son mari la retrouve dans le coma. Elle décède peu après. Les journaux annoncent la crise cardiaque fatale de la comédienne ; certains posent la question d’un possible suicide. Une chose est certaine, Martine Carol eut une vie fracassée. Son rôle dans Lola Montès paraît l’exacte radiographie de sa vie. Tragique.
Clara Laurent, Janvier 2017 (Droits réservés)