Depuis 2004, le Festival de Cannes propose aux festivaliers une sélection de films anciens en copies restaurées. De grands classiques du patrimoine, mais aussi des pépites introuvables venues d’horizons divers, afin d’exhumer des films inaperçus lors de leur sortie. Portrait du directeur enthousiaste de Cannes Classics.
On retrouve Gérald Duchaussoy en plein milieu de la folle quinzaine cannoise qui transforme la ville en ruche de cinéphiles butinant à qui mieux mieux les nouveautés du Festival. Pas nécessairement évident de faire exister une sélection de films anciens dans ce cadre, mais le directeur de Cannes Classics est convaincu de sa mission : remplir la salle. « Je suis un pragmatique », aime-t-il à dire. Le succès est souvent au rendez-vous, comme ce mardi 24 mai, où était projetée la version fraîchement restaurée de Madame de, à l’occasion de l’anniversaire des cent ans de Danielle Darrieux. Mais comment naît une telle passion pour le 7e art ?
Une enfance cinéphile
« J’ai grandi à Arcueil, en banlieue parisienne. Mon père, comptable, aimait le cinéma des années 1960 et 1970. Ma grand-mère, elle, adorait les films de la MGM. » A l’âge de six ans, Gérald découvre avec éblouissement Rocky : « J’ai dû le voir 400 fois ! » La famille est abonnée à trois vidéos clubs, et le petit garçon est très vite autonome dans ses visionnages. « Mes parents me montraient aussi beaucoup de films, Le Lauréat, Mad Max… Il n’y avait pas de censure. On parlait politique à table.» L’attirance pour le grand écran s’ancre aussi dans cet âge tendre : « Je me souviens de mon père m’emmenant voir Indiana Jones dans une salle du 14e à Paris. » L’éclectisme des goûts du directeur de Cannes Classics s’origine dans cette enfance, mais aussi le tropisme vers le cinéma américain : « Le mardi soir, je ne manquais pas la Dsernière séance d’Eddie Mitchell ; je me régalais des westerns, des séries B. Je me souviens aussi du film en 3D L’étrange créature du lac noir… »
De professeur d’anglais à Cannes
L’attirance pour le cinéma hollywoodien pousse l’adolescent à s’envoler vers les Etats-Unis: « Ces voyages à New York, San Diego, puis dans le Tennessee, ont été un déclic : j’ai décidé de faire des études d’anglais. Ma maîtrise portait sur les cigarettes dans les films hollywoodiens de 1944 à 1998… » En guise de service militaire, le jeune homme donne des cours d’anglais à l’armée et montre aux soldats des films, évidemment ! « J’ai cherché à ce moment-là un sujet de DEA original. J’ai décidé de travailler sur l’émission Saturday night live. Je m’intéressais à la façon dont la télévision avait une influence sur le cinéma, dont la culture du petit écran a transformé la comédie US. » Gérald Duchaussoy s’oriente ensuite vers le journalisme et la traduction. Il aime à dire qu’il préfère en général travailler avec les femmes : « Elles sont plus rigoureuses. » Justement, c’est une femme qui fut le sésame pour Cannes : « Une amie m’a appelé un jour pour travailler ici car elle s’était cassée la jambe. » Heureux hasard. C’était au début des années 2000.
L’éclectisme
Gérald Duchaussoy est resté fidèle à ses premières amours cinématographiques, le cinéma américain («J’adore Les Hommes du président ! »), mais aussi le cinéma français, comme Un éléphant ça trompe énormément, L’aile ou la cuisse, Le Samouraï… « J’ai l’occasion à Cannes Classics de défendre le cinéma français, aves de belles copies restaurées comme celle de Farrebique. Nous avons montré cette année Le Salaire de la peur, un film magique. » Mais ces goûts se sont enrichis au fil des années d’autres cinématographies, comme la transalpine : « J’adore le cinéma populaire italien, et son cinéma de genre : les films de Ricardo Fredda ou Mario Bava, comme La Planète des vampires, un film qui a inspiré Alien. » Sans oublier des pépites, des films inconnus comme Soleil ô, film franco-mauritanien, ou bien Quand l’aube naîtra, film pakistanais, tous deux présentés à Cannes Classics. Il s’agit d’y attirer de plus en plus de monde : « Nous travaillons à faire venir les retraités, comme les scolaires, en développant des rencontres, des discussions. » L’éclectisme de Gérald Duchaussoy contribue à cette ouverture sur des publics non professionnels : « Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie dans le cinéma. » S’il diffuse les films du patrimoine, l’homme n’est pas pour autant tourné vers le passé : « Je ne suis pas nostalgique, je vais voir aussi les films qui sortent ! »
(D.R. Clara Laurent, mai 2017)