Sacha Guitry a longtemps dédaigné le « cinématographe », lui reprochant de faire une concurrence déloyale au théâtre. Changeant d’avis, il réalise son premier film sur un scénario original en le tournant en partie à Monaco.
Le préjugé à l’égard du cinéma était fort répandu dans l’entre-deux-guerres. Guitry, grand homme de théâtre, se méfiait assez naturellement d’un art encore jeune, d'origine foraine. C’est sous l’influence de sa jeune épouse, Jacqueline Delubac, que l’auteur de Faisons un rêve semble totalement se convertir au septième art en 1935 : Bonne chance témoigne de cet engouement. Tout se passe comme si le soudain enthousiasme pour le cinéma y allait de pair avec le sentiment amoureux voué à la comédienne qu’il vient à peine d’épouser et qui est sa délicieuse partenaire dans Bonne chance.
Le film est une comédie sentimentale primesautière au scénario charmant et cocasse. Si les bons mots y fusent de la bouche de Guitry comme dans ses pièces, le « jeune » réalisateur Guitry (aidé techniquement par Fernand Rivers) semble follement s’amuser des potentialités offertes par la caméra et le microphone. Dans une séquence, la voix off de Guitry s’étonne ainsi de la façon dont on filme la route dans une voiture au cinéma, et réalise de facto ce qu’il est train d’expliquer à sa bien-aimée dubitative !
On dit parfois Guitry sentencieux et poseur, mais Bonne chance témoigne bien plus de sa légèreté de touche et de son esprit d’autodérision : ayant conscience d’être deux fois plus âgé que Jacqueline Delubac, l’apprenti cinéaste ne cesse de se moquer de son âge canonique, allant jusqu’à suggérer in fine un complexe d’Œdipe...
Jacqueline Delubac, qui tournera ensuite dans une dizaine de films de son époux, offre à Bonne chance sa fraîcheur, son piquant, son élégance… en un mot un charme si singulier, qu’il fait accepter au spectateur son jeu légèrement faux. Pauline Carton (sa mère dans le film) égaye Bonne chance ! de sa voix pointue inimitable.
Les spectateurs monégasques seront aussi sensibles aux séquences ayant lieu au Casino de Monte-Carlo et à l’Hôtel de Paris, Guitry affectionnant tellement la principauté que c’est là qu’il y emmenait ses conquêtes féminines pour les séduire…
Après cette pochade où l’on trouve déjà les linéaments de l’impressionnante œuvre cinématographique future, Guitry reviendra tourner à Monaco le film qui est sûrement son chef d’œuvre : Le Roman d’un tricheur. La principauté inspirait décidément le maître.
Clara Laurent (Droits réservés)
Mardi 10 juin 2014, à 20h30 au Théâtre des Variétés, Monaco - Mardis du cinéma